Sander Van Der Leeuw nous fait part de ses impressions suite à sa visite des quelques OHM métropolitains et à sa participation au séminaire annuel du Labex DRIIHM. De par son expérience dans l'étude des systèmes complexes adaptatifs dans le domaine de la durabilité, il insiste sur l'importance des approches transdisciplinaires dans ce type de projets. Ses réflexions portent autant sur les questions d'interdisciplinarité, d'optimisation du réseau des observatoires et de collaborations entre les OHM, que sur l'utilité de créer un Observatoire des observatoires, ou sur la co-construction de projets entre scientifiques et acteurs.

Vous aviez participé au première séminaire annuel du labex DRIIHM qui s'est tenu en 2013 à Estarreja (Portugal) ; cette année vous avez été confronté à quelques terrains des OHM Bassin minier de Provence, Vallée du Rhône, Haut-Vicdessos et Littoral Méditerranéen. Que vous ont apporté ces journées de présentation ?

Il est important pour l'ensemble des OHM de veiller à l'intégration des différentes disciplines et des travaux réalisés. Il y a très peu de projets, en France comme ailleurs dans le monde, qui ont établi une vraie relation entre les données archéologiques (ou si le terrain ne le permet pas, historiques), l'histoire de longue durée et les problématiques actuelles, modernes. C'est une approche qui est unique dans le monde actuel dans le sens où son objectif est non seulement de mieux comprendre le présent en étudiant le passé mais également d'en tirer des conséquences pour le futur.

En dessous de tous les projets portés par les OHM visités, des problèmes organisationnels sont patents ; je parle, non pas de l'organisation du projet en lui-même, mais bien de l'organisation de la société que l'on étudie, de son évolution et de sa relation avec l'environnement. Il est donc important que les projets financés dans le cadre des observatoires étudient cela.

Le cadre offert par le réseau des observatoires est un « laboratoire idéal » dans lequel pourraient être élaborés dès aujourd'hui des projets « de conceptualisation systémique ». Ces travaux permettraient de décrire ce qui est mis en œuvre dans chacun des OHM, comment cela est mis en œuvre et de mettre ainsi en exergue les similitudes et les dissemblances entre les projets (cf. l'idée d'un observatoire des observatoires évoquée plus bas).

L'importance du réseau des OHM se situe principalement dans le soutien que peuvent s'apporter les différents observatoires, tant en termes de gouvernance que de méthodologie de projet mais également dans sa contribution aux réflexions actuelles sur l'intégration des disciplines.

Le deuxième séminaire annuel du DRIIHM s'est tenu à Montpellier les 18 et 19 juin 2014. Les sessions de présentation ont été organisées autour d'une thématique commune : l'Observation en Ecologie globale. Quel est votre point de vue sur l'évolution des OHM : leur organisation, leur maturité ?

Je voudrai tout d'abord m'exprimer sur la réunion en elle-même. J'ai trouvé cette réunion très intéressante ; elle a montré que, depuis un an, il y a eu d'énormes progrès sur le projet en général et les projets individuels. Je pense cependant qu'il faut encore renforcer les efforts inter-projets. Je pense qu'à la fin, idéalement, cela devrait être possible d'élaborer un langage systémique qui permette de capter les différents aspects de chaque projet dans un seul et même langage. C'est un travail à mettre en œuvre au plus tôt. C'est cependant un travail de très longue haleine, auquel il faut vouer beaucoup d'efforts. Je me demandais et je me suis demandé à l'occasion s'il était intéressant d'avoir, en lieu et place d'une seule réunion plénière une fois par an, des réunions ciblées avec moins de participants mais qui représenteraient les différentes équipes afin de peaufiner ce langage, de travailler les thématiques qui pourraient être fédératrices entre les différents projets. Je pense que les grands séminaires de restitution de travaux ne donnent pas assez l'occasion à de vrais débats, parce que le groupe est trop grand, parce que la salle n'est pas adaptée, pas configurée pour... Il vaut mieux être entre 6 et 10 personnes pour élaborer ou débattre d'une thématique.

Mais pour revenir à la réunion des 18 et 19 juin, je l'ai vraiment trouvée intéressante et mon jugement se réfère à la toute première confrontation que j'ai eue avec vos projets, le séminaire de restitution 2013 qui s'est tenu à Aveiro (Portugal). A l'époque je n'avais aucune idée de ce qui se passait.

Comment mettre en place un réseau dynamique d'observatoires ?

Pour moi, c'est pour cela que je parlais de réunions plus petites en fédérant plusieurs projets, pour moi il y a un apprentissage à faire entre les observatoires. Il serait judicieux que les observatoires mâtures puissent être pilotes dans le développement d'une approche pluridisciplinaire intégrée. Parce que tous les projets sont interdisciplinaires mais pas toujours vraiment intégrés du point de vue conceptuel.

D'un point de vue organisationnel, c'est un peu difficile pour moi car je n'ai pas vraiment eu beaucoup d'information sur le contexte de chaque projet ; comment ils ont été conçus ; comment ils ont été développés et donc comment ils sont actuellement organisés. Aujourd'hui, il convient de faire un effort important pour donner du leadership en ce sens, pour que l'ensemble des OHM converge le plus possible ; il n'est cependant pas réaliste non plus d'envisager que tous les OHM puissent fonctionner de la même manière. Il restera d'énormes différences mais si l'on pouvait distinguer a minima deux niveaux sur le plan conceptuel, cela serait un grand pas en avant : un niveau où l'on accentuerait les ressemblances et les similitudes des projets soutenus au sein de chaque OHM et sur l'ensemble du ROHM et un deuxième niveau où l'on accentuerait les différences et donc les manières différentes dont est mise en œuvre la vision globale de la relation Homme-Environnement (toujours à deux échelles : à celle de l'OHM et à celle du ROHM). Car dans chaque région, cela s'est fait de manières différentes mais cela ne veut pas dire que la relation existant entre l'homme et son milieu n'est pas la même. Nous sommes tous des individus qui pensent et définissent leur environnement ; nous définissons aussi quels sont les problèmes de cet environnement et en fin de compte nous définissons des solutions précises qui sont différentes de région en région. Donc essayer de développer une vision commune globale encore plus forte doit être l'un des buts du projet. Même si personnellement avec ArchaeoMedes, cela nous a pris 5 ou 6 ans pour le faire. Je ne dis pas que cela peut se faire d'un jour à l'autre loin de là mais je pense qu'il est temps de commencer vraiment à y travailler.

Il s'agit bien de l'idée d'Observatoire des observatoires (évoquée déjà en 2013 suite au séminaire d'Aveiro) qui permettrait la mise en place d'un suivi dynamique du réseau d'interactions entre les acteurs des OHM ?

Oui c'est bien cela. Absolument. Cela permettrait à la direction de mieux voir où vont les différents projets ; la direction n'ayant pas le temps de s'immiscer en détail dans les différents projets, elle peut ainsi voir ce qui se passe grâce au travail de personnes qui mettraient là leur vrai intérêt et leur vraie préoccupation.

Comment avez-vous mis en place personnellement cette analyse dans vos différents projets ?

Dans les années 90, nous avions deux personnes qui étaient spécialisées dans cette approche. Et qui ne faisaient que ça. Ils me donnaient des rendus de ce qui se passait dans la dynamique sociale, qui était une dynamique intellectuelle mais également une dynamique entre les personnes et entre les équipes.

Cette observation peut-elle selon vous être mise en place au niveau du réseau des OHM ? Comment mettre en place ce nouveau niveau d'observation ? Concrètement, vous parlez de deux personnes à temps plein, mais de notre côté...

Oui, je comprends bien j'étais personnellement dans une situation favorable où les financements étaient amples et où énormément de gens étaient intéressés ; il faudrait donc voir si vous ne pourriez pas trouver des étudiants, des doctorants de l'école des mines ou de Polytechnique, qui ont travaillé sous la direction récente de Bruno Latour par exemple. En fait, des personnes qui ont étudié la coévolution d'idées et de technologies au sein d'une communauté ; voir si vous ne pourriez pas trouver un ou deux doctorants, ou un ou deux scientifiques qui seraient prêts à faire cela. Il convient de confier ce travail à des personnes indépendantes des OHM et qui ont une formation adaptée et un talent naturel pour cela. Les deux personnes que j'avais n'étaient pas longuement formées mais avaient une expérience importante dans la gestion de telles situations. Mais nous trouvons aujourd'hui beaucoup plus de personnes formées à cela en France qu'il y en avait alors en Angleterre.

Quel regard portez-vous sur l'existant ? Et comment voyez-vous le positionnement des OHM par rapport aux observatoires existants à l'international ?

Si vous voulez, je pense qu'il faudrait étudier le cas américain et notamment l'équivalent des zones ateliers américaines, les LTER (Long therm ecological research). Il faudrait essayer de reprendre contact avec l'organisation des LTER. Quand j'étais en France, j'étais en lien direct avec eux et je pense qu'il y a des informations et des exemples à tirer de l'expérience du réseau américain qui fonctionne depuis plus de trente ans. Et ils ont eux-mêmes des contacts avec des réseaux hollandais, chinois, etc.

L'idée a été émise d'œuvrer pour le développement de l'interdisciplinarité sur des thématiques communes à plusieurs OHMs. Le directeur d'un OHM a d'ailleurs présenté cette approche lors du séminaire mais comment développer cela à moyen terme ? En favoriser les thématiques communes à plusieurs OHM lors des APR, par exemple ?

Oui je pense. C'est une possibilité. Je pense aussi que cela pourrait se faire dans chaque OHM parce qu'il y a des disciplines très différentes qui ne sont pas vraiment en réelle communication ; elles se parlent mais cela ne veut pas dire qu'elles se comprennent. Il y a besoin d'une véritable fusion intellectuelle. Il faut donc mettre cela en place aux deux niveaux (OHM et ROHM). Il faut briguer une vraie interdisciplinarité. Je pense que se réunir plus souvent peut aider les différentes disciplines à ne plus voir dans les projets la vision unique de leur propre discipline. Je pense que l'important est de donner aux gens qui participent une vision commune de leur projet mais tout cela se négocie. Il est question de négociation financière, territoriale mais également très fortement une question de négociation intellectuelle notamment entre les SHS et les sciences naturelles et les sciences de la terre qui ont des visions très différentes des paradigmes épistémologiques et de leurs rôles dans la société. Il y aurait un intérêt très fort à instaurer un médiateur entre ces différentes disciplines et ces différents projets.

L'on peut constater également une vraie disparité dans les modes de gouvernance des OHM. Certains directeurs vont s'imposer en vrai leader d'une équipe et cela fonctionne très bien. D'autres OHM voient cela de manière beaucoup plus collective et cela peut être très avantageux mais pour trouver une vraie ligne intellectuelle sur la longue durée, ce n'est pas forcément la meilleure manière.

D'où l'importance d'un réseau fort

Lors de votre conclusion de ces deux journées d'échanges à Montpellier, vous avez insisté sur l'importance de créer une communauté de chercheurs, qui se reconnaisse comme telle. Quelles sont vos préconisations pour œuvrer en ce sens ?

Je vois cela en parallèle de cette intégration intellectuelle. Je pense qu'il s'agit en grande partie d'une intégration sociale. Il s'agirait donc de se tourner vers le monde extérieur non OHM, mais pas que... il existe déjà des communautés qui étudient les relations Hommes-Environnement comme un système complexe et c'est cela la communauté que vous voulez créer. Comme j'ai eu l'occasion de le dire, chacun a bâti sa carrière dans une discipline dans une manière de faire, dans une vision du monde et il est donc nécessaire, pour que cette fusion intellectuelle émerge, que chaque individu se trouve dans la communauté créée une autre identité qui est une vraie identité pluridisciplinaire, interdisciplinaire ou transdisciplinaire ; les individus ont compris qu'ils peuvent être valorisés pour d'autres capacités que leurs capacités disciplinaires initiales, leurs connaissances disciplinaires, leurs méthodes disciplinaires. Ils sont valorisés pour penser en dehors de ces disciplines en retenant évidemment les connaissances qu'ils ont mais en élargissant leur regard pour définir communément des problématiques auxquelles les différentes disciplines contribuent à résoudre. Dans le contexte européen dans lequel j'ai été immergé, les rencontres qui étaient organisées quatre fois par an ont grandement aidé à la structuration de la communauté. Il va sans dire que j'ai dû parfois jouer le rôle de psychiatre pour gérer d'énormes conflits ; car ces rencontres permettaient également d'exprimer les problèmes et les conflits et contribuaient à les résoudre en stimulant un processus d'apprentissage entre les différentes disciplines autour de ce qu'étaient les valeurs de chacune d'entre elles.

Pour la première année, nous avons fait intervenir les doctorants et post-doctorants du Réseau lors du séminaire annuel du DRIIHM. Il me semble que les doctorants et post-doctorants pourraient jouer un rôle fort dans la mise en place concrète de ce réseau, par le biais de groupes de travail notamment.

Alors sur ce point, je pense qu'il y a deux manières de faire : premièrement, vous pourriez dédier des groupes de travail entre doctorants et post-doc à la recherche d'une méthodologie commune. Deuxièmement, vous pourriez faire travailler les doctorants et les post-doctorants directement avec les chercheurs. Car le danger est d'isoler encore plus les jeunes chercheurs des chercheurs chevronnés. Car le but de ces groupes de travail est bien de renforcer les capacités de recherche de ces jeunes. Je pense peut-être qu'il est nécessaire de mettre en place les deux. D'ailleurs je dois dire que c'est un développement merveilleux d'avoir vu les jeunes impliqués dans le séminaire et d'envisager les impliquer au-delà. Mais il faut du temps pour cela. On peut envisager d'organiser une journée voire une sorte d'école d'été sur des thèmes précis. Je dois dire que pour moi à l'époque les journées thématiques du CNRS ont joué un rôle énorme car elles permettaient d'organiser des vrais enseignements transdisciplinaires où l'on rassemblait des scientifiques de divers projets Achaeomedes. Je me rappelle une série d'école d'été sur l'utilisation des SIG qui, à l'époque, étaient nouveaux en France. Et nous en avions eu 8 ou 9 uniquement pour les équipes françaises. Nous n'avions pas pu faire systématiquement la même chose dans les autres pays. Et lors de ces écoles, vous favorisez également la création de la communauté car les gens sont ensemble pendant près d'une semaine.

L'OHM Tessekere organise tous les ans une école d'été à Widou Thiengoly. Et en regardant plus en détail ce travail, je me suis interrogée sur la faisabilité de créer une école d'été des OHM (pouvant changer de site en fonction de la thématique choisie) et en faisant intervenir les scientifiques concernées de chaque OHM.

Absolument, très bonne idée. Faire quelque chose comme cela aiderait beaucoup à créer la communauté des OHM.

Tisser du lien entre les scientifiques et les territoires des OHM

Quels peuvent être les apports des OHM pour les communautés, les territoires et les acteurs en présence ? Et comment valoriser ces apports ?

Dans beaucoup de contextes scientifiques et de par les formations des scientifiques, ces derniers croient qu'ils peuvent élaborer leur concept scientifique et le vendre dans un second temps à la communauté. Cela ne marche pas comme cela. Il faut inclure la communauté dans tout le questionnement, l'élaboration et le suivi du projet de recherche. Ici aux Etats-Unis, cela commence à se faire. Il faut cultiver les relations entre les locaux et les scientifiques et les mélanger en amont du projet ; certains OHM ont déjà mis en place ce type de collaborations et trouvent ainsi des solutions à des questions que se posent les gens dans la communauté au lieu de répondre dans un premier temps à des questions scientifiques et de tenter dans un second temps de convaincre la communauté que l'important est là.

Il est donc primordial selon vous de favoriser la co-construction des projets de recherche entre les scientifiques et les acteurs (institutionnels, usagers, habitants...) ?

C'est cela. Sans cela rien ne marche. Et si l'on peut intéresser la communauté au point où elle s'engage également financièrement dans le projet, la dynamique en ressort renforcée.

Lors de votre allocution, vous nous avez présenté le programme « Future Earth ». Quels sont, à l'image de cet exemple, les orientations à privilégier selon vous à court, moyen et long terme ?

Il faut effectivement que vous profitiez de la participation de la France au co-secrétariat de ce programme mais je ne voudrais pas dès aujourd'hui vous indiquer des directions à privilégier et donc d'autres à éviter ; le projet « d'amalgamer » les thématiques des OHM est encore trop jeune pour indiquer des bonnes pistes à explorer. Je pense que cela pourra se faire d'ici 4 ou 5 ans. Il faut encore un travail intensif d'interaction entre les OHM avant de pouvoir dégager des pistes nouvelles.

Merci

Interview réalisé le 22 août 2014 par C. Pardo